Wednesday, November 30, 2011

Parashat Toldot (français)

D’une manière générale, quand on essaie pour la première fois de faire un sermon dans une langue étrangère, et tout particulièrement en français, c’est vraiment une leçon d’humilité.


Cela est spécialement vrai, je crois, dans cette synagogue. En effet, depuis quelques semaines, j’ai pu prendre conscience de la qualité ainsi que de la profondeur du message, et naturellement aussi de la beauté du français, que vous entendez ici chaque semaine.


Vous parler ce soir est donc pour moi une réelle leçon d’humilité. Et j’espère toutefois que, par le message que je veux vous transmettre, je serai digne de votre écoute.


Que la parashah d’aujourd’hui s’appelle justement toldot me semble tout-à-fait approprié. En effet, cette parashah parle précisément de la deuxième génération des patriarches. Il est évident que ce n’est pas toujours simple de faire partie de cette deuxième génération qui prend le relais de la première , c’est-à-dire de la génération fondatrice.


En effet, lorsque nous entendons « patriarches », souvent nous pensons « Abraham », et même nous disons « Abraham avinu—Abraham notre père. » Ou peut-être aussi pensons-nous à Jacob/Israel – « Israel avinu ». Mais que dire d’Isaac ? Certes, nous le citons en prononçant la bénédiction « elohey Abraham, elohey Yitshak v’ elohey Yaacov ». Mais nous arrive-t-il parfois d’invoquer Isaac, et rien qu’ Isaac? de dire seulement « Isaac avinu »? Que dit la Torah?


Le nom de notre parashah , « Toldot », signifie « l’histoire. »


« v’elah tol’dot Yitshak ben Avraham : Avraham holid et Yitshak. » (Gen. 25 :19)


« Ceci est l'histoire d'Isaac, fils d'Abraham: Abraham engendra Isaac. »


Immédiatement apparaît un problème : ce n’est pas de l’histoire d’Isaac que parle la Parashah mais plutôt de celle de ses fils, Jacob et Esau. Il est écrit :


« v’elah toldot Isaac » / « Ceci est l’histoire d’Isaac ».


Or, en réalité, la première histoire de Toldot, ce n’est pas l’histoire d’Isaac, c’est celle de Jacob et d’Esau.


En fait, si nous pensons aux patriarches, nous connaissons bien l’histoire d’Abraham , et celle de Jacob -- la troisième génération. Mais qu’en est-il de l’histoire d’Isaac? d’Isaac lui-même?


Nous connaissons évidemment tous l’« akeidat yitshak », la ligature d’Isaac, mais elle appartient à l’histoire d’Abraham, son père. Il y a bien sûr aussi la lutte entre les fils d’Isaac, Jacob et Esau, mais il s’agit en fait d’une lutte entre eux deux, sans aucun rôle actif de la part d’Isaac. Il me semble que nous pourrions toute la journée évoquer l’histoire des autres patriarches, alors qu’en ce qui concerne Isaac, nous ne la connaissons que par quelques éléments, des éléments qui apparaissent dans d’autres biographies.


Oui, nous ne connaissons Isaac que par l’intermédiaire des autres. Alors qui était donc réellement Isaac? Pourquoi son histoire n’est-elle apparemment pas sa propre histoire?


Prenons un autre exemple : il est courant dans la Torah que les couples se rencontrent pour la première fois autour d’un puits. Bien que nous ne sachions pas si, pour Abraham et Sarah, c’était le cas, nous savons que Moïse, lui, s’est battu pour Zippora au bord d’un puits et que c’est également au bord d’un puits que Jacob a rencontré Rachel. Mais dans le cas d’Isaac et Rebecca, ce n’est pas Isaac lui-même qui rencontre Rebecca au puits ; non, c’est un serviteur d’Abraham qui la ramène du puits et la présente à Isaac. Bien qu’il s’agisse pourtant d’un moment fondamental de la vie d’Isaac, celui-ci, une fois de plus, n’agit pas activement dans sa propre histoire.


Alors invoquons-nous « Isaac » entre « Abraham » et « Jacob » parce que nous avons pitié de ce pauvre patriarche perdu au milieu des vrais patriarches?


Chas Ve Shalom !


Un élément me paraît très intéressant dans le texte de Toldot. Il serait pourtant très simple d’ignorer cette partie du texte. Notre paracha retrace une dispute entre l’entourage d’Isaac et celui d’Abimelech.


Il est écrit : « L’Eternel bénit Isaac. Isaac devint un personnage important. Son importance s'accrut encore et il devint même un homme très puissant. Il possédait des troupeaux de moutons, de chèvres et de bovins, et beaucoup de serviteurs, de sorte que les Philistins devinrent jaloux de lui. » (Gen. 27 :12-14)


Et la Torah poursuit : « Isaac partit et alla dresser son camp dans la vallée de Guérar où il s'établit. Il s'installa et fit déboucher les puits qu'avait creusés son père Abraham et que les Philistins avaient comblés après la mort d'Abraham, et il leur donna les mêmes noms que son père.» (27 : 17-18)


Chaque fois qu’Isaac et les siens creusaient un puits, ils le renommaient de la même manière qu’Abraham ; de plus, ils y trouvaient systématiquement de l’eau alors que les Philistins n’en avaient jamais trouvé dans ces puits. C’est pourquoi, à chaque nouveau puits, les Philistins attaquaient Isaac et Isaac s’enfuyait encore pour en creuser un autre ailleurs, avec le même succès. Et ainsi de suite jusqu’à ce que les Philistins prennent enfin conscience que Dieu était aux côtés d’Isaac. A ce moment-là, Abimelech décida de conclure un traité avec Isaac.


Cet épisode peut paraître sans intérêt. Pourtant, considérons un instant l’aspect symbolique. Un puits représente les émotions, les relations humaines, et surtout la vie elle-même. Ce n’est pas Isaac qui a creusé les premiers puits, c’est Abraham.


Or il n’est jamais aisé de reproduire exactement, et avec succès, les actes de ses ancêtres. Isaac, lui, l’a accompli et a même trouvé de nouveaux puits, de telle sorte qu’il nous a apporté presque plus que son père : par sa créativité, sa patience et sa détermination, il a assuré la survivance de son peuple. De notre peuple.


Je ne sais pas si c’est vrai pour tout le monde, mais je crois que beaucoup d’entre nous souhaiteraient sans doute être tels qu’Abraham : toujours le premier, toujours en tête. Ou même tels que Jacob : ingénieux, doué. Mais en réalité, nous sommes souvent plutôt comme Isaac : il nous est difficile, voire impossible, de remplacer nos parents. Que ce soit positif ou négatif, nos parents existent sur le piédestal, sacré et protégé, sur lequel nous, nous les avons posés ; et nous vivons en partie à travers nos enfants. Alors quelquefois, les premiers ou leurs descendants éclipsent nos réalisations individuelles, et cela sans que nous ne réagissions.


La tradition juive dit que, dans la Torah, aucun mot n’est écrit sans raison. On doit donc en déduire que toute répétition, ou absence de répétition, a son sens. Je pense donc qu’il y a deux manières de comprendre l’histoire d’Isaac et son absence de détails. Soit nous pouvons supposer que l’histoire individuelle d’Isaac est insignifiante parce qu’il n’a rien accompli d’extraordinaire. Soit, au contraire, nous pouvons penser que, comme elle est une répétition des actes des autres patriarches, il n’est pas nécessaire de la répéter et qu’il fallait, dans l’histoire d’Isaac, n’écrire que ce qui était nouveau ou unique.


Si tel est le cas, quelle leçon d’humilité !


Au sujet d’Isaac et de l’histoire de ses puits, le Midrash haGadol dit : « Telle est l’humilité d’Isaac. »


Normalement, nous, les enfants, nous construisons de nouvelles ailes aux maisons de nos parents et nous leur donnons de nouveaux noms. Isaac, lui, n’a rien fait de tel. Et quelle reconnaissance en a-t-il reçu ? Les autres patriarches ont vu leur nom être changé : Abraham s’appelait d’abord Abram et ne fut nommé Abraham que plus tard et Jacob reçut par la suite le nom d’Israël. Isaac, lui, avant même sa naissance, fut nommé Isaac par Dieu lui-même, et ce nom n’eut jamais besoin d’être modifié par les générations suivantes. »


L’important n’est pas toujours exactement ce que nous faisons ; l’essentiel, c’est surtout le comment, le pourquoi, et la perspective de nos actes. Cependant, il nous est presque impossible d’évaluer réellement ou personnellement nos actes si nous ne considérons avant tout que ceux des autres.


Chère communauté, chaque génération porte la responsabilité de son judaïsme. Ce que nous entreprenons en ce moment a autant de valeur que les actions de nos parents ou que celles de nos enfants.


Nous avons la responsabilité de garder et d’entretenir les puits déjà creusés ici, mais aussi celle d’assurer la survivance, la croissance et le futur de notre communauté avec créativité, patience et détermination.