L'année dernière, j’ai eu le grand plaisir de travailler avec une bat mitsvah singulière et intéressante. C’était dans une communauté libérale assez petite, et elle fut la seule élève bat mitsvah de l'année. Donc, quand nous nous rencontrions, nous avions beaucoup de temps pour discuter.
Nous avons toujours commencé les leçons avec une question, car j'avais institué les règles suivantes:
- « il faut toujours commencer avec une question » et
- « nous pouvons discuter de tout tant que cela, d'une façon ou d'une autre, a un lien avec le Judaïsme. »
Ainsi au début de notre premier rencontre elle a demandé : « Pourquoi les justes doiventils souffrir ? »
Ce n’était pas une boutade ni une tentative de se montrer rebelle. C’était simplement une jeune fille juive qui avait la possibilité de poser une question qui la préoccupait. Par ailleurs c’était une occasion pour aborder une question universelle. Afin de ne pas offrir une réponse superficielle, j’ai dû réfléchir. Engageant avec elle un dialogue, nous avons fait quelque chose . . . de juif.
Certes, la question « Pourquoi les justes souffrent-ils ? » représente pour nous une question réelle. Si nous, ou l'un de nos proches, ne sommes pas frappés en ce moment par un malheur, nous pouvons malheureusement nous rappeler que parfois nous avons éprouvé de la douleur ou de la détresse ou nous imaginer cet état. Et quand nous et nos proches souffrons – émotionnellement, spirituellement ou physiquement -- d’une certain façon nous nous demandons « Pourquoi les justes doivent souffrir ? »
Nous trouvons naturellement cette question dans le Tanakh. Par exemple le livre de Job entier est une tentative pour expliquer « pourquoi les justes doivent-ils endurer le mal ». Dans une certaine perspective c’est aussi un thème général de l’histoire de Joseph, notre héros actuel dans le Torah. Après toutes ces épreuves que Joseph a subies, on peut poser la question suivante: « pourquoi le mal frappe-t-il les justes? » Et Joseph lui-même même a essayé de répondre à cette question . . . deux fois. Dans la parachah de la semaine passée, Vayigach, comme dans la parachah cette semaine, Vayehi. Ainsi, après la mort de Jacob, les frères de Joseph qui avaient essayé de le tuer, soudain prennent peur. Ils pensent : il est naturel et humain de vouloir se venger. Alors pour se protéger, ils mentent à Joseph et disent :
(Gen 50 :16, 17, 19, 20) Ton père a commandé avant sa mort ce qui suit : 17 « Parlez ainsi à Joseph : “Pardonne, de grâce, l’offense de tes frères et leur faute, et le mal qu’ils t’ont fait. Maintenant donc, pardonne leur faute aux serviteurs du Dieu de ton père ” » . . . 19 (en pleurant) Joseph leur répondit : « Soyez sans crainte ; car suis-je à la place de Dieu ? 20 Vous, vous aviez médité contre moi le mal : Dieu l’a combiné pour le bien, afin que s’accomplisse ce qui arrive aujourd’hui, qu’un peuple nombreux soit sauvé.
« Dieu l’a combiné pour le bien. » C’est une réponse assez bonne. Il est naturel et humain de vouloir se venger mais, au lieu de se venger, Joseph répond avec sagesse et exprime son pardon. Mais attention : la réponse de Joseph est-elle la réponse universelle pour la question relative à la souffrance ? Est-ce que c’est une réponse . . . juive ?
Lorsqu'une question nous est posée, la tendance humaine est de chercher une réponse, même simpliste. C’est clair et c’est simple. Nous demandons « Pourquoi les justes doiventils souffrir? » et soudain nous avons une réponse éclairante, convaincante et réconfortante pour calmer nos inquiétudes. « Dieu l’a combiné pour le bien. »
« Pourquoi Joseph a-t-il dû souffrir ? Afin que s’accomplisse ce qui arrive aujourd’hui, qu’un peuple nombreux soit sauvé. »
Mais que faire lorsque l’on a besoin de parler avec une personne en deuil ? Que faire lorsque l’on est confronté à notre histoire ? Les pogroms ? La Shoah ?
Aujourd’hui je n’ai pas voulu discuter ou trouver les réponses mais plutôt poser les questions. Les réponses sont dangereuses car elles sont souvent relatives à un lieu et une heure spécifique. La réponse de Joseph était la réponse parfaite – pour ce moment là. En effet les réponses de nos textes et notre histoire ne peuvent être que le début de notre recherche quand nous avons une question. Et en est le parfait exemple. Ainsi, quand nous parlons avec des personnes en deuil, nous disons selon la tradition achkenasi « Hamakom yinahem ethem b'toh sha'ar availay Tzion v'Yeruchalayim » -- « Que l’Eternel vous réconforte avec toutes les personnes en deuil de Zion et Jerusalem » et dans la tradition sephardi on dit « tenachamu min hachamayim » -- « Puissiez-vous être consolé par le ciel. » J’ai appris d’un maître qu'en présence d'une personne en deuil, il y a seulement deux choses qui sont importantes : il faut être là et il faut rester silencieux jusqu’à ce que cette personne vous adresse la parole. Ce n’est pas facile et telle n’est pas notre tendance naturelle, mais c’est la sagesse de notre Tradition.
Ne tombons pas dans l'illusion que toute question a une réponse simple. Pourtant notre Tradition peut laisser penser cela. Quand on demande « Quand le Chabat commence-t-il… comment manger kocher… quelle sorte de travail est interdit le Chabat… pourquoi doit-on prier… » – je peux presque toujours trouver une réponse—. C’est le travail du rabbin. Mais la chose la plus difficile est de comprendre les idées qui génèrent les questions et fondent les réponses. Lorsqu’on se contente d'écouter une question sans se demander le pourquoi de cette question et lorsqu'on donne une réponse hâtive et conventionnelle, nous perdons quelque chose . . . de juif. Le Talmud entier est une série d'histoires, de questions, de discussions et de débats. Elle indique des réponses mais souvent la loi n'est pas formulée de façon claire.
La modalité la plus juive est-elle toujours d’avoir une réponse définitive ou n'est-ce pas le débat, la discussion . . . parfois le silence ?
Une dernière pensée pour conclure ces réflexions :
J’ai regardé avec horreur ces semaines passées les évènements en Israël à Beit Shemesh. Depuis plusieurs années à Beit Shemesh, une ségrégation existe entre les hommes et les femmes—ségrégation non seulement dans les synagogues mais aussi sur certains trottoirs de la ville. Les juives ultra-ultra-orthodoxes ont dit au juives orthodoxes et national-religieuses qu'elles ne sont pas juives, et qu’il est juste et normal que, lorsque les jeunes filles – même celles qui ont huit ans – ne sont pas habillés assez modestement des rabbins les réprimandent et les harcèlent.
Il faut discuter la signification de ces évènements – la signification qu'ils ont pour nous et pour Israël. L'ironie est que, lorsque des Juifs disent aux autres Juifs qu'ils ne sont pas Juifs, on conclut que les Juifs libéraux ne sont pas les seules victimes de cette dénégation. Et je pense qu’il y a une relation évidente avec notre sujet aujourd’hui. Lorsqu’on commence à dire « il y a seulement une réponse, une possibilité, une interprétation » les évènements de Beit Shemesh sont finalement inévitables.
C’était parce que l'interprétation et la discussion ont toujours existé dans notre Tradition que nous sommes ici aujourd’hui–hommes et femmes ensemble. C’est grâce à l'évolution rendue parfois difficile de notre Tradition que j’ai pu travailler avec une bat mitsvah. C'est grâce au processus de réforme qu’elle a pu poser des questions et parler avec moi exprimant sa préoccupation devant le fait que les justes souffrent » et, grâce à nos discussions, avancer dans une meilleure compréhension de ce que propose notre Tradition.
Chabat Chalom.
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